Une promesse de bonheur
J’avais finalement trouvé les pantoufles que je cherchais. Je les trouvais un peu chères, malgré un important rabais sur le prix. Mais le sourire engageant de la vendeuse vint à bout mes réticences et je finis par les acheter.
Une fois à la maison, j’entendis mes filles s’extasier à leur vue, et j’appris du même coup que ce n’était pas des pantoufles comme je l’avais d’abord cru, mais des « chaussures super cool ! »
Le lendemain, alors que nous devions nous rendre dans un restaurant à la mode, mes filles me demandèrent avec insistance de les porter.
J’enfilai donc mes nouvelles chaussures branchées et nous partîmes. Quelle ne fut pas ma surprise sitôt arrivés à destination, de me faire accoster par un skateur (des plus célèbres, au dire de mes filles) qui me complimente sur mes chaussures en ajoutant qu’il n’en a jamais vu d’aussi cool.
Moi qui n’ai jamais été cool et n’ai jamais cherché à le devenir, voilà que j’étais doté d’un nouveau statut aux yeux de mes filles, simplement à cause d’une paire de chaussures.
Mais qu’est-ce que la coolitude ou cool attitude, au fait ?
La coolitude est une position, une façon de se situer dans la société, autrement que par l’accumulation de richesses.
Ce qui définit la personne cool est d’abord et avant tout une façon d’être, une sorte de fraîcheur, de légèreté. Les choses semblent glisser sur elle.
Elle est toujours comme un peu décalée par rapport aux choses et aux gens. Il s’agit d’un mode d’existence, donc, mais aussi une posture de soi.
Le cool adopte un nouvel art de relation, une façon de communiquer qui est davantage oblique, flottante même.
La coolitude est aussi une injonction de la société de consommation, une nouvelle façon de consommer (plus bohême), tout en cherchant à se libérer des chaînes de la consommation de masse.
Elle représente un ordre social, une nouvelle hiérarchie qui a su supplanter celle où le rang social était déterminé par son occupation.
Ce même rang social déterminé par le prestige (ou le revenu) associé au travail réalisé (celui de l’Amérique des années 1950) avait lui-même supplanté une hiérarchie plus ancienne qui tenait compte davantage d’une fortune et de privilèges hérités (pensons à la vieille aristocratie anglaise).
On pourrait dire que l’objet désiré par tous est cool. Mais qu’arrive-t-il lorsque tout le monde le possède ?
Cette nouvelle hiérarchie est une promesse de bonheur, sauf qu’elle nous conduit à un paradoxe: à chaque fois que nous atteignons notre but par l’achat d’un produit un peu trop cher, mais assurément cool, le cool se dérobe à nous.
Il nous échappe dès que nous croyons l’avoir découvert. Pour le journaliste et écrivain Malcolm Gladwell, auteur de The Coolhunt:
La clé de la chasse au cool, c’est donc de chercher d’abord les gens cool et ensuite les objets cool, et non l’inverse. Puisque les objets cool changent constamment, on ne peut les chercher, car le fait même qu’ils soient cool signifie qu’on n’a aucune idée de ce qu’on cherche.
Le cool est difficile à définir, et de surcroît, versatile. Car la personne cool est par définition opposée aux masses.
Les produits ou les manières d’être qui apportent une sorte de distinction sont d’abord désirés par quelques personnes audacieuses. Puis, rapidement, par d’autres personnes qui cherchent à leur ressembler.
Mais lorsque c’est la masse qui s’empare de de cette nouveauté, il est trop tard: le cool est déjà ailleurs.
Ce que nous avons acheté ou adopté comme idée ou attitude en pensant être dans le coup, n’est déjà plus tout à fait cool, le cool se refusant à exister dans la masse…
Une succession d’engouements qui se chassent les uns les autres
Au début du 19e siècle, les bourgeois ne songeaient guère à supplanter les manières de la classe dirigeante. Au mieux, ils pouvaient chercher à les imiter.
Ces snobs, au sens primitif du terme, ne suivaient que de loin les modes. Il leur suffisait de savoir que les femmes du monde, elles, suivaient la mode, et ils n’avaient qu’à les copier, sans avoir à se soucier de ce qui convient et de ce qui ne convient pas.
Cette lenteur dans l’élaboration de ce qui est in et de ce qui est out n’existe tout simplement plus aujourd’hui.
Le djembé qui était in cède la place au ukulélé en matière de cool, qui devient out à son tour et sera remplacé par le marimba, et qui sait, un jour peut-être par les castagnettes…
Je suis toujours surpris de voir à quel point les centres de conditionnement rivalisent d’ingéniosité quand vient le temps d’offrir des cours à leurs membres: du cardio-poussette au bootcamp, en passant par le zumba-step, toutes les formules s’agencent et se recréent à une vitesse folle.
Pour terminer, il est essentiel de dire que le cool n’existe que sous le regard des autres. On ne peut pas être cool tout seul dans son sous-sol. Dans leur best-seller Révolte consommée, Joseph Heath et Andrew Potter expliquent:
Comme toutes les marchandises positionnelles, le cool tire sa valeur de la comparaison avec les autres. Certaines personnes arrivent à être cool uniquement parce que d’autres — en fait, la plupart des autres — ne le sont pas. (Plus concrètement, pour que certaines choses soient cool, il faut que d’autres soient nulles.) Mais à la différence des hiérarchies traditionnelles du statut, qui mettent l’accent sur la continuité dans le temps, le cool est structuré par une quête perpétuelle de non-conformisme. […L]e cool est la position universelle de l’individualité, où le fait d’être un individu signifie non pas être qui on veut, sans égard pour ce que font les autres, mais plutôt faire tout ce que les autres ne font pas. La personne cool est celle qui s’est délibérément opposée aux masses.
Je m’arrête ici car j’ai observé qu’il y a déjà quelque temps que les gens ne m’arrêtent plus sur le trottoir pour me parler de mes chaussures. Je dois sans attendre aller m’en acheter une nouvelle paire: quelque chose de tout à fait différent cette fois, histoire de rester cool…
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